Lettre ouverte à Monsieur le Premier ministre

Communiqué de presse

25. März 2024

Monsieur le Premier ministre,

Nous nous adressons à vous alors que vos récentes déclarations – à l’occasion d’un Conseil européen – au sujet du nucléaire nous ont alertées.

Vous avez déclaré que le nouveau gouvernement serait plus ouvert et moins « idéologique » que le gouvernement précédent par rapport au nucléaire en tant que source d’énergie. En tant qu’anciens membres de ce gouvernement, nous pouvons vous assurer, que nous avons toujours agi non en tant qu’idéologues mais en tant que responsables politiques qui s’appuient sur les données scientifiques et visent l’intérêt général de la société entière. Les dangers du changement climatique nous imposent des contraintes assez serrées et nous obligent à décarboniser la société au cours des prochaines décennies. Afin de protéger la planète et la population des conséquences du réchauffement climatique, afin d’accomplir l’objectif principal de l’accord de Paris et suivant les évaluations scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, l’Union Européenne a décidé de viser la neutralité en carbone en 2050, donc dans 25 ans.

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le nucléaire ne représente que 10% de la production d’électricité au niveau mondial. Aujourd’hui près de 40 %[1] de la production brute d’électricité provient déjà des énergies renouvelables dans l’Union européenne. Les autres sources d’énergie se répartissent comme suit : 26% pour le charbon, 15% pour le gaz et 23% pour le nucléaire. Il est à souligner que la France représente à elle seule 54% de la production nucléaire de l’Union européenne en 2023.

La construction de centrales nucléaires est souvent un processus long et complexe, nécessitant plusieurs années, voire même des décennies, depuis la planification initiale jusqu’à la mise en service complet. Les projets sont souvent confrontés à des dépassements budgétaires et à des retards significatifs, ce qui rend ces projets encore plus coûteux. Un exemple récent illustrant les défis rencontrés lors de la construction de centrales nucléaires est celui de la centrale nucléaire de Flamanville en France, qui a rencontré divers problèmes en cours de construction. Initialement prévue pour être opérationnelle en 2012, la construction a été confrontée à de nombreux obstacles de problèmes de qualité. Actuellement la mise en service de l’EPR devrait coûter presque 20 milliards selon les calculs de la Cour des comptes[2], soit près de six fois plus cher que prévu au lancement du projet.

Les centrales nucléaires nécessitent de l’uranium comme ressource naturelle. L’uranium est importé en grande partie du Niger, du Kazakhstan, du Canada et, avant la guerre d’agression menée en Ukraine, également depuis la Russie. 97%[3] de l’uranium utilisé dans l’UE est importé, et ceci en grande partie de pays non-démocratiques. La production d’électricité à partir de centrales nucléaires est donc entièrement dépendante de pays se situant en dehors de l’UE.

Les énergies renouvelables en revanche produisent de l’énergie à partir de ressources directement disponibles (soleil, vent, géothermie, biomasse, énergie hydraulique). Selon le coût de l’électricité produit par mégawattheure[4] (« LCOE »), l’énergie nucléaire est trois fois plus chère (150 $/MWh), que le photovoltaïque ou l’éolien terrestre (55 $/MWh) et n’est donc pas rentable d’un point de vue économique.

Certains procédés utilisés pour générer de l’électricité au moyen de l’énergie nucléaire peuvent aussi servir à fabriquer des armes nucléaires. L’exemple de la crise iranienne en relation avec la construction d’une centrale nucléaire illustre parfaitement le risque de la communauté internationale de contournement du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.

Vous pouvez constater, Monsieur le Premier ministre, que jusqu’ici nous invoquons dans notre lettre uniquement des arguments de dépendance, de coûts, de délai de construction et de risque de prolifération nucléaire. S’y ajoutent les risques d’accidents nucléaires et la problématique liée à l’élimination des déchets ainsi produits. Tout ceci devrait largement justifier le maintien d’une approche critique par rapport à l’énergie nucléaire.

Nous sommes en faveur de la recherche et des arguments scientifiques pour chercher des solutions aux grands défis de notre société.

Nous ne disposons que d’une fenêtre de 25 ans pour arriver à la neutralité climatique et pour éviter les conséquences climatiques majeures. Nous estimons donc qu’il faut dès à présent mettre tout en œuvre pour implémenter des énergies sûres.

L’énergie nucléaire peu rationnelle d’un point de vue économique a déjà dévoré trop de fonds financiers qui auraient, à titre d’exemple, mieux été investis dans la recherche d’une plus grande efficience du stockage de l’électricité.

Selon les données d’Eurostat pour l’année 2022, l’Union européenne a atteint une part de 23% de sa consommation finale brute d’énergie provenant de sources renouvelables. Cette part des énergies renouvelables a plus que doublé entre 2004 et 2022. L‘objectif de l’Union est d’arriver à une part de marché des énergies renouvelables de 45% en 2030. D’après les chiffres actuels, ce but pourrait déjà être atteint bien avant. Nous avons donc réussi au cours des dernières années à créer une dynamique formidable en faveur des énergies renouvelables. Le marché a bien réagi au cadre règlementaire et financier déterminé par la politique. Faire miroiter un possible retour vers l’énergie nucléaire donnerait un mauvais signal au marché.

Nous estimons qu’il faut plus que jamais investir dans les technologies qui ont largement fait leur preuve d’un point de vue scientifique. En tant qu’anciens membres du gouvernement nous faisons appel à vous, Monsieur le Premier ministre, de garder l’approche et le consensus établis dans notre pays depuis de longues années maintenant et de poursuivre la voie établie vers la décarbonisation sans tomber dans le piège des lobbys puissants de l’industrie nucléaire.

Considérant l’importance cruciale de la question de l’approvisionnement énergétique tant pour notre pays que pour l’Union européenne, et compte tenu de ses implications majeures pour notre développement socio-économique, et même pour la préservation de la paix sur notre continent, nous sollicitons respectueusement une entrevue afin d’aborder ce sujet de manière approfondie et de vive voix avec vous, Monsieur le Premier ministre.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de nos meilleurs sentiments.

 

François Bausch                                                    Joëlle Welfring

Député                                                                    Députée

 

 

[1] Ember – European Electricity Review 2024 – Europe’s electricity transition takes crucial strides forward (2024)

[2] Cour des comptes – La filière EPR – Rapport public thématique (2020)

[3] Euratom Supply Agency, Annual Report 2022 (2023)

[4] IEA – Net Zero by 2050 – A Roadmap for the Global Energy Sector (2021)

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