Une place financière durable, notre responsabilité

Articles de presse

6. Februar 2021

Au cours des dernières années, le gouvernement a adopté la finance durable comme un des vecteurs principaux de développement de la place financière. Or, une étude récente sur la soutenabilité des fonds luxembourgeois commanditée par Greenpeace suggère que la Place n’est aujourd’hui pas alignée sur les objectifs de l’accord de Paris, ce qui confirme la nécessité de doubler le pas et de faire du développement de la finance durable une véritable priorité de premier rang.

  • Une dynamique positive

Avec une industrie de fonds gérant quelque 4.700 milliards d’euros, la place financière luxembourgeoise occupe la deuxième position mondiale et dispose donc d’un levier énorme pour diriger l’investissement privé vers des activités durables. Conscient de cela, le gouvernement a adopté une feuille de route respective en 2018. Parmi les mesures déjà implémentées entretemps figure la création d’un cadre de référence pour l’émission d’obligations durables ainsi que la création d’une bourse verte, qui détient aujourd’hui la plus grande part de marché d’obligations vertes cotées.
Ces efforts s’insèrent dans un cadre européen plus large, dont notamment l’élaboration d’une « Taxonomie » qui permet de définir les activités considérées durables afin de contrecarrer le greenwashing. Avec l’introduction récente d’un taux préférentiel en matière de taxe d’abonnement pour les fonds d’investissement qui agissent de manière durable, le Luxembourg a profité de cette initiative européenne, avec le but d’inciter les fonds à réorienter leurs activités. De plus, une nouvelle stratégie de finance durable sera présentée par le gouvernement prochainement.
Le Luxembourg a donc réussi à développer une dynamique positive en faveur de la finance verte. Cependant, face aux avancées nécessaires dans la lutte contre la crise climatique, se pose la question urgente d’où nous nous situons actuellement en matière de soutenabilité de la place financière.

  • Plus d’efforts sont nécessaires

Comme le précise l’accord de Paris, la transition vers une finance soutenable devra faire partie intégrante de l’effort vers une économie neutre envers le climat. Il s’agit avant tout de rediriger les investissements en faveur des énergies fossiles vers les technologies vertes comme les énergies renouvelables.
Or, une évaluation détaillée de la soutenabilité de l’intégralité des avoirs gérés au Luxembourg fait toujours défaut. L’analyse commanditée par Greenpeace nous offre tout de même un premier aperçu de la conformité des actifs gérés sur la place financière avec les objectifs de Paris, à savoir la limitation du réchauffement climatique à moins de 2°C et si possible à 1,5°C.
Selon cette analyse , les 100 fonds les plus grands au Luxembourg investissent en moyenne selon un scénario de 4°C de réchauffement. De plus, leurs investissements génèrent en moyenne 10% plus de gaz à effet de serre que l’index de référence mondial (MSCI World Index). Les auteurs du rapport concluent que ces 100 fonds auront épuisé leur budget carbone disponible jusqu’en 2050 déjà d’ici 2027. L’analyse relève aussi que les fonds en question sont surexposés aux risques financiers liés au changement climatique par rapport à l’index de référence précité, notant que les fonds analysés ont obtenu une moyenne de 34 sur 100 au Carbon Risk Rating, et qu’aucun d’entre eux n’a atteint une note supérieure à 50.

  • S’attaquer aux risques climatiques

Ces chiffres sont inquiétants mais, comme le remarquent d’ailleurs aussi les auteurs du rapport, ne peuvent pas simplement être étendus à l’intégralité des avoirs gérés au Luxembourg. Il est donc indispensable qu’une analyse plus détaillée soit menée afin d’évaluer les retombées environnementales de l’industrie de fonds luxembourgeoise, comme je l’avais d’ailleurs déjà proposé dans mon rapport sur le budget de l’État pour 2021.
L’objectif d’une telle analyse est double. D’un côté, il s’agit d’évaluer régulièrement l’alignement des investissements effectués par les fonds luxembourgeois avec les engagements climatiques. Ainsi, l’on pourra suivre et mesurer l’avancement des efforts en matière de finance durable afin de les renforcer si nécessaire. De l’autre côté, une telle analyse permettra d’identifier le degré d’exposition des fonds et donc de la place financière dans son ensemble aux risques financiers climatiques.
En effet, les investissements dans des activités nuisibles au climat, comme l’exploitation du charbon et du pétrole, risquent de perdre leur valeur face aux efforts de décarbonisation. On parle alors de stranded assets. Selon une analyse de la Financial Times, une limitation du réchauffement climatique à 2°C signifie que 59% des réserves en énergies fossiles encore disponibles ne pourront pas être utilisées . Dans un scénario de limitation du réchauffement à 1,5°C, cette part monte à plus de 80%. Cela engendrerait une perte financière colossale pour les grandes entreprises actives dans les énergies fossiles et constitue donc un risque pour la stabilité financière des fonds détenant ces actifs et, le cas échéant, pour le secteur financier dans son ensemble.
Afin d’éviter un tel scénario, une amélioration du reporting des acteurs financiers est crucial. L’entrée en application en mars 2021 d’un nouveau règlement européen marquera une étape importante puisqu’il imposera plus de transparence aux acteurs des marchés financiers. Ainsi, ils seront obligés à divulguer la considération des facteurs de durabilité ainsi que des risques climatiques dans leurs décisions d’investissement. Même si ce règlement n’introduit pas d’obligation générale de prise en compte de facteurs de durabilité, il permettra tout de même d’avancer vers plus de transparence, tant pour les investisseurs que pour les décideurs politiques.

Dans ce contexte, il faudra que les autorités de supervision disposent des outils nécessaires pour améliorer l’identification et la gestion des risques. L’identification des risques climatiques n’étant qu’une première étape, il sera important par la suite de les réduire et d’assurer l’alignement de l’industrie de fonds luxembourgeoise sur les objectifs climatiques. En plus de l’incitation fiscale aux investissements durables récemment introduite, l’émission de recommandations aux fonds par l’autorité de surveillance pourrait constituer une autre mesure praticable à court terme. Sur le moyen et long terme, il parait pourtant inévitable de se diriger vers un cadre plus contraignant.

  • Responsabilité et résilience

Avec un tiers du PIB, le secteur financier joue un rôle important non seulement pour notre économie, mais aussi pour les caisses de l’État et donc pour le financement des services publics. L’élimination des risques financiers liés au changement climatique ne s’impose donc pas uniquement d’un point de vue climatique, mais aussi en vue d’assurer la résilience de la Place, de notre économie et des finances publiques à l’avenir.
De même, vu l’importance des avoirs gérés au Luxembourg et l’impact positif potentiel qui peut en émaner pour la lutte contre la crise climatique, il nous incombe aussi une responsabilité particulière d’agir de manière proactive.
Avec l’arrivée au pouvoir du nouveau président aux États-Unis, il est attendu que les Américains, en tant que première puissance financière au monde, s’engageront activement dans la transition vers la finance durable. Voilà un signe encourageant pour le climat, mais qui nous illustre aussi que pour rester une place financière de renom, il sera crucial d’assumer un rôle précurseur dans les années à venir.

François Benoy est député (déi gréng). Il est président de la Commission de l’Environnement et membre de la Commission des Finances et du Budget.

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